4 déc. 2016

Spectacles 2017


Nos spectacles de début d'année arrivent, dans le cadre du festival "Le tour de la Russie en 20 jours"... ce qui m'a donné l'occasion de réaliser de nouvelles affiches !

1) "Une demande en mariage", du théâtre adapté de la pièce de Tchekhov (le 28 janvier au Cosmopolis de Nantes)



2) "1917 - aller-retour", un spectacle poétique et musical pour les 100 ans de la révolution d'octobre (le 5 février au Cosmopolis et le 12 février au Théâtre la Ruche, Nantes)



3) Deux spectacles par les enfants et ados de l'atelier de théâtre francà-russe "Théâtrouchka"



8 sept. 2016

Voyage en Russie ! - partie 7

Mercredi 17 août 2016



Cher lecteur, nous reprenons notre récit au moment où, au terme d'une courte et inconfortable nuit à bord d'un train se dirigeant vers Mourmansk, nous approchons de la ville d'Okoulovka.

Après ces quelques heures de sommeil décousu et 7h40 de trajet, le jour se lève sur le train à l’arrêt, probablement un peu en avance sur le planning et qui patiente donc pour arriver pile à l’heure. Dehors, un haut rideau de sapins fait écho à la forêt de pieds que je découvre en jetant un œil dans l’allée centrale. La plupart des passagers dorment encore, et la famille en face de nous roupille ferme à l’exception du bébé qui nous regarde fixement, l’œil attentif et la bouche ouverte tel un poisson séché en plein air. Une odeur persistante de kolbasa bon marché flotte dans l’air depuis le réveil, et nous suit jusqu’à la sortie, alors que nous nous dépêchons de descendre de voiture durant les trois minutes d’arrêt réglementaires. Des cheminots agitent des drapeaux de wagon en wagon pour indiquer que tout est prêt pour repartir, et bientôt le train et sa cargaison de dormeurs ne sont plus qu’un point qui rétrécit à l’horizon, alors que nous avançons sur le quai quasi désert de la gare d’Okoulovka.


A bord du taxi nous conduisant - pied au plancher, est-ce utile de le préciser - chez Julia, nous avons le loisir d’observer le paysage d’une petite ville de campagne, qui tranche avec le décor métropolitain quitté quelques heures plus tôt, offrant aux yeux moultes maisons de bois et jardins conséquents. Macha m’explique qu’Okoulovka est composée de deux agglomérations distinctes, répondant aux noms exotiques d’Okoulovka 1 et Okoulovka 2, et nous quittons l’une pour aller vers la suivante.


Julia habite dans une confortable maison derrière laquelle s’étend un vaste potager fleuri. A notre arrivée, nous sommes accueillis comme le veut l’usage par un thé « à la russe », c’est-à-dire accompagné d’un vrai repas de choses à grignoter jusqu’à ne plus avoir faim. L’accueil est très chaleureux, notre visite apparaissant comme un petit évènement, car les visiteurs étrangers sont rarissimes par ici. Julia nous explique en riant que toute la rue doit être au courant qu’un Français est de passage, et qu’elle veut éviter d’allumer la lumière pour ne pas avoir des voisins curieux aux carreaux. Je m’étonne des rires rencontrés lorsque je me risque à de polis « spasibo » ou « pajalousta » - on m’explique qu’ici, les actes de gratitude sont plus importants que les mots. Je découvre avec curiosité les conditions de vie à la campagne : l’eau courante est juste arrivée, le bania (le « vrai » sauna russe que nous aurons l’occasion de tester dès le lendemain) hebdomadaire remplace la douche… La manière de boire le thé est elle aussi différente : pour le refroidir, on verse le contenu de la tasse dans la soucoupe - de taille généreuse - avant de boire à même celle-ci.


Après une courte sieste, nous nous mettons en route vers l’appartement d’Alissa, une amie de Macha, ce qui donne un bon prétexte pour explorer les environs. Nous quittons la route goudronnée pour des chemins de terre qui se transforment parfois en mare, qu’il faut franchir sur une passerelle de planches posées là fort à propos. Derrière les palissades de bois des maisons, les chiens de garde nous observent et saluent notre passage d’un concert de hurlements et d’aboiements méfiants. Nous atteignons une partie de ville plus urbanisée, où les immeubles d’habitation refont surface au détour d’un chemin campagnard.


Alissa nous accueille dans son appartement moderne, qui contraste avec l’extérieur du bâtiment fort décrépi, et nous met à l’aise autour d’un thé à la russe. Passablement fatigué, mes oreilles délaissent la conversation russophone et je jette un œil intrigué à la télévision, qui diffuse une série du type Julie Lescaut (que nous appellerons Julia Leskova), entrecoupée d’un nombre hallucinant de pages de pub. Julia Leskova laisse ensuite place à une émission de télé-réalité, talk-show dont il est facile de percevoir le vide intersidéral malgré la barrière de la langue.

L'enseigne indique qu'il s'agit d'un "bon magasin"

Nous sommes bientôt de retour chez Julia. Le dîner qui s’ensuit achève de combler le peu d’espace restant dans mon estomac suppliant, et nous visitons le potager dont Julia s’occupe quotidiennement, impressionnant par sa grandeur et sa variété. Nous allons ensuite faire un tour du côté de l’école d’Okoulovka, qui rassemble des classes de l’école au lycée (leurs équivalents russes), avant d’aller faire quelques achats dans un magasin encore ouvert malgré l’heure tardive. La soirée se termine autour d’une guitare, l’occasion pour Macha et moi de dérouiller quelques chants russes pour la première fois « à domicile » !


*    *    *

Le lendemain est consacré en majeure partie au sauvetage d’un nouveau venu : un chaton des rues en manque évident d’affection qui se voit très vite baptisé « Boublik », mot emprunté à la gastronomie russe et qui désigne un gros souchka (ce serait un peu comme l’appeler « Gros Beignet » en français). Comme tout chat abandonné qui se respecte, celui-ci est dans un piteux état : nous commençons par lui faire prendre un bon bain dans une eau qui prendra bientôt la couleur du thé noir russe, moins les odeurs d’agrumes. Nous décidons ensuite de l’emmener chez le vétérinaire pour obtenir les papiers nécessaires à son déplacement vers Moscou car nous comptons en faire la surprise à la mère de Macha, qui a perdu le sien récemment.


Macha me prépare psychologiquement à un cabinet vétérinaire n’ayant rien à voir avec leurs équivalents français, puis Julia appelle un taxi un ami de son frère qui conduit justement un taxi : ici tout le monde se connaît, et je retrouve la convivialité familière typique des endroits isolés et peu peuplés – tout le monde s’entraide et se rend service.


Les vétérinaires sont installés dans une grande maison bleue à l’intérieur assez sinistre, mais cela n’est peut-être qu’une impression dûe aux nuages gris qui recouvrent la ville. Nous voici bientôt dans une petite pièce où nous trouvons les deux médecins vétérinaires assises à leurs bureaux, nous lançant à notre entrée des regards austères. Nous remarquons également la présence d’une stagiaire occupée à recopier – à la main et en plusieurs exemplaires – les données diverses et variées d’une liasse de feuilles, tandis que des ordinateurs délaissés somnolent au fond de la pièce.

Il n’est pas sûr que nous puissions obtenir le certificat apparemment obligatoire pour obtenir le billet de train d’un animal, et nous sommes redirigés vers une autre pièce pour en demander l’autorisation au Directeur. Nous passons un couloir éclairé d’une lumière jaune et pénétrons dans une pièce où un homme attablé lit son journal – son identité et son rôle sont toujours inconnus à l’heure où j’écris ces lignes. Le Directeur assis un peu plus loin nous indique qu’il ne peut nous fournir le certificat que nous demandons, car des cas de rages ont été reportés dans la région et il est par conséquence interdit d’en sortir tout animal avant le vingtième jour suivant sa vaccination.


Nous retournons voir la doctoresse, qui jette au Gros Beignet un regard rapide (regard facturé par la suite sous le nom d’ « examen clinique général »), lui prend sa température, puis le vaccine, sans nous donner le moindre conseil sur les soins à prodiguer. Après quelques négociations, elle finit par nous fournir malgré les restrictions le passeport non signé, que nous complèterons plus tard avec les nom et signature d’un vétérinaire fictif.

L’étape suivante est l’achat d’une cage pour le transport en train : la vendeuse prend le rôle du vétérinaire en nous conseillant d’utiliser le savon noir pour éradiquer les parasites de notre fauve tout pucetiféré. Nous nous rendons ensuite dans une petite boutique offrant entre autres un service de prise de photo, impressions et photocopies diverses et variées afin de compléter le passeport. A la gare, le passeport théoriquement indispensable n’est même pas regardé, et nous obtenons rapidement un billet – non sans avoir remarqué que les animaux sont apparemment considérés comme des « bagages » à bord des trains.


En soirée, nous interprétons quelques chansons devant des voisins venus assister au « concert » : c’est une sensation très bizarre que de jouer à plusieurs milliers de kilomètres de chez soi des morceaux que les locaux connaissent très bien, tandis qu’ils sont à peu près inconnus d’où on vient…



Aux alentours de minuit, nous découvrons la bania ; celle-ci a été construite de manière artisanale, et tout le monde n’a pas la chance d'en posséder une chez soi : certains voisins en profitent ainsi de manière régulière. Ce sauna traditionnel prend la forme d’une petite cabane en rondin abritant un poêle à bois, qui sert à chauffer de l’eau ainsi que des pierres devant permettre de créer toute la vapeur nécessaire à une bonne cuisson toilette décapante. Plusieurs heures sont nécessaires pour atteindre la température idéale, qui à quelques degrés près pourrait sûrement permettre de cuire des pommes de terre.


J’apprends de nouveaux mots : vienik, qui correspond aux branches de pommiers avec lesquelles on se cravache dans la joie pour activer la circulation, et kovchik, qui désigne une sorte de louche en métal utilisée pour s’asperger allègrement d’eau froide et éviter ainsi l'hyperthermie.  Dans les saunas français aux températures bien plus basses, on conseille des séances d’une demi-heure maximum ; ici les habitués restent  transpirer pendant une heure et demie sans problème. A la sortie du four, rincés et lessivés, dans un état de décontraction proche de l’amorphisme, le sommeil nous rattrape vite.

25 août 2016

Voyage en Russie ! - partie 6

Mardi 16 août 2016



Après une dernière nuit à Kitèje courte et agitée de cauchemars de mon côté, nous nous levons de bonne heure car un long trajet nous attend pour rentrer à la capitale. Nous nous attendons à une longue journée, car nous avons prévu de prendre le train de nuit à partir de Moscou le soir-même afin de rallier Okoulovka. Il s’agit d’une petite ville située à environ 470km au nord-ouest de Moscou, dont la visite doit me donner un bon aperçu de la vie à la campagne.

Je découvre, un peu tardivement, qu’à Kitèje la douche accepte de fournir de l’eau chaude à la seule condition que le lavabo juste à côté fasse le même travail – un reste d’esprit collectif soviétique sans doute. Dans la cuisine, une citation de Mark Twain – qui sonne avec tellement d’ironie – a été affichée : « Politicians and diapers must be changed often, and for the same reason », Je soupçonne Andrew, l’Ecossais occupant habituellement la maison, d’avoir pris un malin plaisir à l’avoir placardée là à la vue de tous.

Nous rejoignons bientôt la maison de Sacha et Kirill devant laquelle attend, moteur tournant déjà (apparemment une habitude hivernale étendue à l’année entière), la Lada dans laquelle nous allons embarquer. Je croise discrètement les doigts en espérant que Kirill n’est pas un Russe qui aime la vitesse, mais sans grande conviction. Nous nous installons bientôt à bord du véhicule et je m’aperçois combien les longs trajets paraissent tout à fait banals pour les Russes : emmener de quoi grignoter ou boire n’a même pas été évoqué, et Kirill sera le seul chauffeur pour les quelques cinq heures de trajet, sans autre pause qu’un arrêt obligatoire à Kalouga.

La route jusqu’à cette dernière semble passer vite, bercés que nous sommes par la playlist la plus éclectique jamais entendue, enchaînant morceaux électrobalkaniques et 60s américaines, en passant par de grands classiques et même de la chanson teutonne pour minifritzs. Sacha nous montre l’étendue de sa maîtrise du français, dans lequel elle se débrouille très bien en dépit d’avoir appris toute seule à l’aide de livres et à l’écoute de chansons françaises.


Nous voici bientôt de retour à Kalouga, où nous remontons la vaste rue Gagarine, dépassant l’hôtel Gagarine avant de croiser le centre commercial Gagarine, matraquage indiquant que la ville est un grand centre cosmonautique. Sacha et Kirill s’absentent pour un rendez-vous pendant que Macha et moi explorons cette partie de la ville, achetons du poisson séché, et nous installons dans un parc au milieu duquel se trouve un monument à Konstantin Tsiolkovski, qui est considéré comme le pionnier et père de l'astronautique russe. Tout en mâchonnant du calamar séché, nous regardons passer une ribambelle de bus, qui en accord avec la politique de la région roulent tous au gaz, et transportent un stock de bouteilles rouge vif sur leurs galeries. Des pigeons pigeonnent sans vergogne et des passant(e)s passent, beaucoup arborant des pantalons troués, dans une sorte d’exposition épidermique à l’esthétisme limité qui semble très à la mode en ce moment.


Kirill finit par nous rejoindre et nous reprenons la route, direction Moscou. Quelques personnes se sont installées ici et là en bordure de voie pour vendre leur marchandise, dont quelques babouchki assises à côté de leur stock de légumes ou de fruits. Nous passons non loin du centre nucléaire d’Obninsk, et Kirill nous indique que les habitants des alentours ramassent et vendent les pommes et champignons poussant à proximité sans trop se soucier de possibles risques. Nous apprenons également que la conduite sous l’emprise d’alcool est sévèrement punie ici, puisque la région applique la tolérance zéro ; la première amende peut atteindre jusqu’à 1000€, et la récidive peut facilement conduire en prison.

De retour à Moscou et un enchaînement de métro et d’elektrouchka plus tard, nous voici de retour chez la mère de Macha, qui a préparé de quoi faire une bonne okrochka. Malheureusement je ne peux y toucher, mes intestins décidant subitement de se mettre aux abonnés absents – peut-être la conséquence de l’eau qui, comme dans toute la Russie, n’est pas potable au sortir du robinet. Nous préparons rapidement nos affaires – à peine déballées – pour notre visite de plusieurs jours à Okoulovka, où nous serons hébergés chez Julia, une amie d’enfance de Macha.


Bientôt de retour dans le métro moscovite, via la magnifique station de Komsomolskaya, nous débouchons sur la Place des Trois Gares, qui comme son nom l’indique rassemble en vis-à-vis trois des grandes gares moscovites : Yaroslawsziy Voksal, Leningradskiy Voksal, et Kazanskiy Voksal. Ici, il faut pour pouvoir entrer dans une gare passer un rapide contrôle, avec portail de sécurité, passage des bagages au rayons X et regards soupçonneux des agents de sécurité postés un peu partout.


Macha m’explique que dans un train de nuit il y a quatre grands types de wagons : luxe (dont les prix élevés sont proportionnels au confort offert), SV (qui propose des compartiments confortables pour deux personnes), koupé (organisé en compartiments de quatre couchettes), et platzkart (des couchettes en open-space, c’est la version la plus abordable). C’est ce dernier type de wagon que nous avons réservé.  Notre train à destination de Mourmansk nous attend déjà à quai, trente minutes avant le départ prévu peu après minuit. Chaque wagon est supervisé par deux provodnitsa (les « mamans de wagon ») : celles-ci vérifient nos passeports et billets à la montée, et se relaient la nuit pour rester à disposition des passagers.


L’entrée dans le train se fait dans une ambiance cosy : les haut-parleurs diffusent un langoureux « Eté Indien » de Joe Dassin en version instrumentale au clavecin MIDI, avant d’enchaîner avec un « San Francisco » (version McKenzie) évoquant un CD de relaxation rescapé des années 90. En face de nous s’installe une famille dont le bébé fait ses dents, et nous informe gracieusement de l’état de ses gencives à grands cris. Macha va commander deux thés auprès des mamans de wagon, qui sont servis dans des verres aux supports de métal produisant un cliquetis caractéristique, qui est apparemment le bruit emblématique du train la nuit.


Cliquez ici pour un aperçu de l’atmosphère sonore d’un train de nuit à destination de Mourmansk, par une belle nuit d’été !



Les passagers préparent leurs couchettes à partir des draps encore tièdes du séchage, et nous ne tardons pas à faire de même, avant de nous installer pour une nuit courte et au confort limité, rythmée par les tressautements du train fonçant dans la nuit à travers la forêt.

20 août 2016

Voyage en Russie ! - partie 5 (Kitèje)

Dimanche 14 août et lundi 15 août 2016


Cher lecteur, nous reprenons notre récit au moment où, à bord d'une guimbarde préhistorique lancée à une vitesse folle sur des routes semées de nids de poules, nous arrivons au village de Kitèje, perdu dans la campagne russe.


Après une dizaine de minutes de route, nous atteignons le grand portail qui marque l’entrée du village de Kitèje. A côté de celui-ci une inscription indique : « La paix soit avec celui qui entre. Ici est le territoire du village de Kitèje, où les enfants ont retrouvé leur maison et leur famille ».

Pour comprendre l'origine de cette mystérieuse inscription, jetons un oeil au contexte : le village de Kitèje a été fondé en 1992 par Dimitri Morozov, à 280 kilomètres au sud de Moscou. L"objectif est de donner aux enfants des rues un nouveau foyer et une vie décente, loin des orphelinats surchargés, et en mettant l’accent sur l’éducation des orphelins. Le nom est un clin d’œil à la légendaire cité de Kitej. Nous avons décidé de nous y rendre pour faire écho à notre visite, en juillet dernier, du centre agroécologique / ferme coopérative des Amanins, situé dans la Drôme : même si les démarches des deux sites restent assez différentes, les deux proposent des conceptions de l’éducation originales et s’appuient sur des pédagogies alternatives assez inspirantes.


Au moment où nous franchissons le portail, nous avons l’impression d’entrer dans un monde à part. De magnifiques bâtiments en bois apparaissent ici et là, leur architecture s’inspire des bâtiments traditionnels russes, et leur allure m’évoque également des influences scandinaves. L’endroit a l’air quasi désert et alors que nous descendons du véhicule, nous sommes frappés par le calme qui règne dans un endroit normalement occupé par un minimum de 70 personnes.


Une jeune femme russe se dirige vers nous et nous dit s’appeler Anastasia (Nastia pour faire plus court) : c’est elle qui va nous faire visiter les lieux. Elle nous apprend que le silence impressionnant régnant dans le village est exceptionnel, car en cette période de l’année la plupart des enfants sont partis en colonies de vacances, et nombre d’adultes sont également absents, ceci réduisant donc les effectifs à 17 personnes seulement.


Nous commençons par nous installer dans la « maison des invités » qui comme son nom l’indique accueille les visiteurs de passage. Nastia nous indique qu’elle est habituellement habitée par un Ecossais, actuellement parti explorer le Kamtchaka, et que l’un des deux cuisiniers du village, ancien enfant adopté, occupe l’une des chambres. Le bâtiment possède une salle de classe, comme la plupart des maisons du village, car les cours qui occupent les enfants de 9h à midi ne se déroulent pas seulement dans les locaux de la grande école circulaire flambante neuve encore en construction. L’ensemble des parents des familles d’accueil participe à l’enseignement. De pièce en pièce, nous découvrons de nombreux affichages indiquant que la maison est dédiée à l’apprentissage de l’anglais.


Je suis étonné de l’apparence des bâtiments, m’attendant à des constructions plus « artisanales », en dépit de leurs façades traditionnelles : la maison que nous occupons offre en effet un confort moderne, avec eau courante, douche et cuisine équipée. L’église du village, que nous visitons peu après, contraste par sa facture rustique : Nastia nous explique que c’est le premier prêtre du village qui l’a bâtie lui-même ainsi que la maison circulaire au toit pointu située non loin de là.


Au cours de la visite, nous croisons les vestiges d’un grand jeu de rôle, un abri anti retombées radioactives sur lequel on peut lire le mot « FALLOUT ». Ce grand jeu a rassemblé les enfants de séjours vacances sous tente installés sur le site ainsi que ceux de Kitèje même, car le village accueille régulièrement des personnes venues de l’extérieur, des colonies de vacances aux bénévoles venus découvrir la communauté.

Nastia nous guide à l’intérieur de l’ancienne école, qui est en partie occupée par une bibliothèque. Il s’agit d’une école d’Etat et non d’une école privée sous contrat comme celle que nous avons pu découvrir aux Amanins ; une visite d’inspection est d’ailleurs prévue dans peu de temps. Certains parents scolarisent leur(s) enfant(s) à Kitèje, leur offrant ainsi une éducation qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Economiquement parlant, il apparaît que l’école de Kitèje, qui a le statut d’école de village (peu d’élèves et isolée, un peu comme l'Île d'Yeu !), bénéficie de subventions de la part du gouvernement, ce qui explique en partie comment le village peut continuer fonctionner en dépit de toute autonomie alimentaire ou énergétique.


En parlant d’alimentation, le site possède une ferme, qui permet de fournir au village tout le lait et fromage dont il a besoin, ainsi qu’un potager relativement modeste : Nastia nous explique que Kitèje ne vise pas l’autosuffisance alimentaire, car le temps dédié à l’agriculture ne doit pas faire perdre de vue l’objectif premier qui reste l’éducation des enfants. L’organisation de la vie quotidienne est donc pensée dans ce sens, et les après-midi voient enfants et adultes œuvrer ensemble aux tâches nécessaires au bon fonctionnement du village (entretien, réparation, travaux agricoles, etc.) dans une logique de coopération que ne renieraient pas les Amanins.

En fin de visite, nous rencontrons Katia et Sophie, toutes deux anglo- et russophones originaires respectivement des Etats-Unis et du Royaume Uni, venues en tant que volontaires découvrir Kitèje et s’investir dans la vie du village.  Puis arrivent Morwen et Vitali : la première est britannique et s'exprime dans un russe et français quasi parfaits ; le second est russe, et tous deux s’apprêtent à quitter le village pour aller vivre ensemble à Londres. Je suis assez ravi de pouvoir dérouiller un peu mon anglais.


Nous nous retrouvons tous en chaussons du côté de la « cantine » pour préparer le dîner, qui dépayse totalement : de la ratatouille. Dans la cuisine nous déballons puis préparons les légumes, acheté aux producteurs locaux et qui sont comme dans toute la Russie très bon marché (pour manger pas cher, manger vert). Nous terminons cette longue journée avec la soirée d’adieu de Vitali et Morwen avant d’aller nous mettre au lit, très fatigués.


*      *       *


Le rythme des vacances est assez relaxé à Kitèje. Après une douche vivifiante (curieuse installation offrant des cycles de trente seconde d’eau bouillante suivis de dix minute de glace pilée), nous avalons un petit déjeuner composé de thé, de caviar de poisson, et d’œufs brouillés, tandis que les Kitèjiens font le point sur les tâches de la journée et la répartition de chacun, tiennent le registre des entrées et des sorties, en gardant tout cela consigné dans un cahier.


Nastia nous indique que notre travail de la matinée est de l’aider à nettoyer les fenêtres de l’annexe de la maison située en face de la nôtre. Nous voici partis armés d’eau savonneuse, de tissus variés ainsi que de gants (qui ne seront pas de trop car ce qu’on ne nous avait pas dit, comme par hasard, c’est que les fenêtres en question dissimulent en réalité une forteresse d’araignées – et il faut savoir que la version russe de ces monstres octopèdes est absolument répugnante #TeamArachnophobia #KillThemAll).


La matinée est vite terminée, et Macha achète l’un des livres de Morozov, où il aborde de manière détaillée sa conception de l’éducation. Le repas du midi est composé entre autres de bortsch, et d’un mélange d’algues, ce qui paraît curieux vu notre éloignement de la mer.

L’après-midi, nous allons travailler au potager en compagnie de Sophie ainsi que de Sacha, la responsable du jardin. Celle nous a réservé un travail « typiquement russe » : retourner un carré de terre à la fourche – tâche dont mes reins se souviennent encore. Nous allons ensuite prendre soin des concombres en guidant les pousses le long de la structure à laquelle ils s’accrochent, avant de nous diriger vers les deux serres afin de vaporiser un désinfectant sur les tomates, sous le regard du chat le plus attachant du monde. Le spray rendant bientôt l’âme, nous terminons de répartir le produit « traditionnellement », au moyen de branches de pin, nombreux à Kitèje.



La journée s’achève autour d’un thé et de miel maison offert par Sacha et son compagnon Kirill, qui nous ont gentiment proposé de nous ramener sur Moscou en voiture le lendemain.


18 août 2016

Voyage en Russie ! - partie 4 (Taroussa)

Samedi 13 et dimanche 14 août 2016



Aujourd’hui, accompagnés d’Elena, nous nous dirigeons vers Taroussa, petite ville située à environ 200km au sud de Moscou et logée le long d’un coude de la rivière Oka. C’est un lieu de pèlerinage pour Macha qui s’y est déjà rendue de nombreuses fois : la ville est entre autres connue pour avoir été le lieu d’habitation de la poétesse Marina Tsvetaeva, ainsi que d’autres écrivains.

Les déplacements sont une expédition en Russie : les distances semblent étirées, disproportionnées, et on doit composer avec différents moyens de transport ; pour nous rendre à Taroussa, nous nous préparons à combiner train, métro, et bus. Pour ne pas consacrer une partie trop importante de la journée au voyage, nous nous levons aux alentours de 5h30 et embarquons bientôt dans l’elektrichka maintenant devenue familière, direction Moscou. Le métro nous emmène alors, quasiment en bout de ligne, à l’une des gares routières moscovites en banlieue de la capitale.

Commence alors une attente interminable dans le but d’obtenir nos tickets. Entre les bâtiments blancs et bleus de la gare s’est formée une longue file de voyageurs, piétinant sous l’œil de militaires censés montrer qu’on ne rigole pas avec la sécurité. D’ailleurs, ici, les passeports sont systématiquement vérifiés avant toute montée dans les bus, même sur une distance relativement courte. C’est une contrôleuse d’un autre temps qui, liasse de papier en main, pointe les voyageurs se présentant devant elle. Tous ces efforts pour donner une apparence de sécurité et de contrôle paraissent alors ridicules, quand Macha m’explique que, comme partout ailleurs, il suffit de mettre le bon billet dans la bonne main pour obtenir ce que l’on veut.


La manière de procéder pour obtenir des tickets est très floue : nous remarquons des automates délaissés car d’une lenteur extrême, et tout le monde préfère patienter devant les guichets. L’ambiance est conviviale, les gens viennent volontiers se parler (je vis ainsi quelques moments angoissants ou on me pose une question sans aucun mot connu), ou demander des informations quant à la manière d’obtenir des tickets : personne n’a l’air de vraiment savoir comment ça se passe, mais ça à l’air de se passer quand même. Il vaut mieux ne pas donner l’impression de tenter de doubler quelqu’un dans la file : les places sont sacrées, et toute personne tentant d’en gagner quelques-unes se fait sèchement réprimander.


Nous finissons par monter à bord de notre bus, et entamons bientôt notre trajet, qui doit durer 2h30. La fatigue se fait sentir et nous tentons de rattraper quelques heures de sommeil. Nous dépassons les dernières banlieues de Moscou et ses ultimes immeubles d’habitation occupés en majorité par des travailleurs venus de province. Les paysages urbains laissent bientôt place à la campagne : nous circulons au milieu d’étendues immenses de plaine et de forêt vierges de toute trace humaine, vision assez inhabituelle. Quelques villages viennent rompre la monotonie de paysages peu changeants, la nature libre et sauvage contrastant avec la droiture de vestiges soviétiques : ici un tank de l’Armée Rouge, là un monument surmonté d’un avion étoilé. Nous dépassons des zones clôturées où des maisons sont mises à la vente et ainsi protégées de toute intrusion. A l’approche de Taroussa, de grandes demeures aux jardins de tailles correspondantes laissent place à de nombreuses dachas. Celles-ci symbolisent par leur présence l’émergence d’une classe moyenne jusqu’à récemment quasi absente de la société russe.


Passablement fatigués, nous atteignons la minuscule gare routière de Taroussa. Nous allons rapidement enregistrer l’arrivée d’Elena à son hôtel (différent du nôtre, qui affichait complet après réservation), puis nous partons nous promener à travers la ville. Sur la place principale, peu peuplée, se dresse l’une des deux églises orthodoxes de la ville, à l’allure si exotique pour mon regard de français. La place possède sa statue de Lénine, tenant sa veste d’une main comme à son habitude, ainsi qu’un monument commémorant la Grande Guerre Patriotique (1941-1945).


Nos pas nous mènent un peu plus loin, sur un square proche de l’église, récemment aménagé, du haut duquel nous apprécions la splendide vue sur la rivière Oka, qui forme une large courbe au bas de la pente. Macha m’explique que la promenade pavée sur laquelle nous avançons est toute neuve, et a remplacé l’ancien sentier où se postaient de nombreux peintres, malheureusement absents. Cette partie du centre-ville a été réaménagée, probablement pour faire face à l’afflux de visiteurs plus nombreux qu’auparavant, apparemment au détriment de ce qui faisait son charme. La statue de Tsvetaeva, qui domine le paysage sauvage, est à présent entourée de bancs très fréquentés.


Nous quittons la ville et continuons notre promenade sur un sentier de terre longeant la colline, avant de trouver un endroit pour pique-niquer à la russe : pas de sandwiches mais des légumes que l’on sale à volonté, ainsi qu’un peu de kolbasa.  En contrebas, on aperçoit de temps à autres un bateau sillonner la rivière. Plus loin, après la pierre-mémorial à Tsvetaeva, nous croisons un arbre à souhaits, dont les branches sont chargées de rubans et fils noués comme autant de vœux de visiteurs.

En début d’après-midi, nous allons enregistrer notre arrivée au deuxième hôtel, où nous sommes accueillis par une dame d’un calme à toute épreuve et d’une lenteur fascinante, dotée d’une choucroute soviétique absolument réjouissante et d’une paire de lunettes assortie. Elle nous remet la clé de notre chambre, laquelle arbore comme porte-clés un poisson en bois démesuré au point qu’il pourrait se faire passer pour un dessous-de-plat.


Nous installons rapidement nos affaires dans notre suite royale chambre avant de partir à la découverte de la ville. Celle-ci possède tout comme Moscou un nombre impressionnant de pharmacies au kilomètre carré. Nous repérons une épicerie où, après avoir ouvert de grands yeux devant le choix de poissons, nous achetons des glaces : les made in Russia sont très bonnes, mais apparemment pleines de choses pas très recommandables pour la santé. Nous allons ensuite dans un petit magasin pour acheter de quoi grignoter le lendemain, sur notre trajet vers Kitèje. Comme je l’ai découvert à midi, les sandwiches ne font pas vraiment partie de la culture russe : en guise de pain, nous achetons du lavash (sorte de pain plat et sec, en version arménienne) et je découvre navré le rayon du petit chimiste viandes, où tout à l’air plus ou moins bourré de choses pas très recommandables pour la santé. Nous choisissons la mort dans l’âme ce qui semble être une sorte de jambon d’ « aggloméré de viande reconstituée aux arômes artificiels et colorant en robe de chambre de gelée graisseuse pas très recommandable pour la santé™ », qui s’avère après ouverture (et rinçage) être étonnamment mangeable, mais qui nous tordra les boyaux pendant quelques heures (voilà qui explique peut-être la profusion de pharmacies).


Un achat compulsif de kvas plus tard, nous partons en exploration du côté des dachas : la plupart de ces maisons arborent toujours des décorations traditionnelles colorées, et de fort jolis ornements en bois sculpté. Ce qui est frappant est la place laissée aux plantes, buissons et herbes qui poussent le long des routes et envahissent un peu tout sans que personne ne décide de tondre ou de couper quoi que ce soit, ce qui donne aux rues un air de semi-abandon des plus romantiques. Nous sommes témoins de contrastes assez stupéfiants en découvrant, face à face dans une même rue, deux maisons dont les propriétaires n’ont vraisemblablement pas les mêmes moyens.


Plus loin, devant nous, un homme avance visiblement ivre, titube et continue à quatre pattes ; Macha m’apprend un nouveau mot : « zapoï », ce qui désigne trois jours passés à boire, ou par extension l’état d’une personne passant trois jours à boire. Elena rétorque que ce n’est pas un zapoï mais juste un homme qui rentre chez soi, un samedi soir.


Nous arrivons à la sortie du village, et décidons d’aller visiter le cimetière orthodoxe, qui est à en croire Macha différent de ceux qu’on peut connaître en France. Celui-ci s’étend à perte de vue dans la forêt, ce qui me rappelle un peu celui d’Highgate, à Londres. Les sépultures sont en majorité entourées de clôtures en métal, et la plupart affichent des photos ou des gravures représentant les portraits des personnes décédées. Le plus étonnant est la présence de tables et de bancs à-côté des tombes : la tradition veut que les proches du défunt prennent un moment pour s’asseoir et boire un verre de vodka en sa mémoire. Certains laissent même des gâteaux ou friandises sur les lieux, en partage, qui sont habituellement récupérés par les SDF locaux. Pas de raison de s’en offusquer, après tout c’est une occasion pour eux de penser au défunt et de lui faire honneur.


Nous choisissons un petit restaurant, seul endroit possible pour dîner qui ne soit pas occupé par les festivités de mariages. Curieusement, le quart des plats annoncés sur la carte n’est finalement pas disponible. La journée s’achève autour d’un bœuf strogonoff des plus délicieux.



*       *       *


Le lendemain, nous nous levons dès 6h00 pour avoir une chance d’admirer la rivière Oka, qui se couvre de brume au petit matin, mais nous arrivons un peu tard. Après un petit déjeuner rapide à l’hôtel, nous nous dirigeons vers l’église qui se trouve un peu excentrée sur une colline. C’est dimanche, et Macha veut me montrer à quoi ressemble une liturgie orthodoxe et particulièrement ses chants, qui paraît-il sont très beaux.


Macha et Elena se couvrent la tête de foulards puis nous pénétrons dans l’église qui est déjà peuplée, entre autres, d’un certain nombre de babouchki et de diedouchki, qui seront finalement rejoints par des familles entières. L’intérieur offre bien le faste visuel caractéristique de l’orthodoxie, avec un florilège de dorures et des murs couverts de magnifiques fresques ; le prêtre arbore de son côté un splendide costume. Je remarque que le lieu ne possède que peu de bancs, les fidèles passant l’heure et demie de liturgie debout, face au « Grand Portail », porte qui dissimule un certain temps le prêtre et les diacres aux yeux de l’assemblée. Nous nous trouvons dans une petite église d’une non moins petite ville, et pourtant les chants sont magnifiques, l’interprétation est parfaite malgré la complexité des pièces aux nombreuses voix qui s’entrecroisent, ce qui ne manque pas de surprendre en comparaison à ce que l’on peut trouver dans les petites paroisses françaises.

Cliquez ici pour en avoir un aperçu !

Nous nous éclipsons au bout d’une quarantaine de minutes et nous dépêchons d’aller rendre les clés de notre hôtel à Mme Choucroute, qui - à notre grande déception – s’est faite remplacer par Mme Pince-sans-rire.

Macha et moi disons au revoir à Elena avant de grimper dans le taxi qui doit nous amener à la ville de Kalouga à environ trois quarts d’heure de route plus au sud, à partir de laquelle nous devons nous rapprocher en bus de notre destination : le village de Kitèje. Je m’installe sur la banquette arrière tout en essayant de ne pas trop regarder la longue fissure courant le long du pare-brise, laissant la seule ceinture disponible à Macha, qui me met à l’aise en m’indiquant que les accidents de la route sont un réel problème en Russie. Je (re)découvre avec terreur la conduite « à la russe », notre taxi fonçant à pleine vitesse sur des routes défoncées et doublant des véhicules pied au plancher. Me voyant à point pour un AVC un peu crispé, Macha tente de me détendre en m’apprenant un nouveau dicton russe : « Quel Russe n’aime pas la vitesse ? ». Effectivement.


Nous atteignons plus vite que prévu la ville de Kalouga, agglomération conséquente puisqu’elle dépasse le million d’habitants. Les 160 kilomètres nous séparant de Moscou commencent à se faire sentir : l’organisation de la vie quotidienne est moins huilée, la signalisation plus floue, les salaires plus bas, et les endroits deviennent rapidement inaccessibles à quiconque ne parle ni ne lit le russe, à moins d’être accompagné par un guide : les touristes sont rares. Déposés devant la gare, nous passons la porte dans le but d’aller nous renseigner sur les horaires de bus ainsi que de réserver nos places.


La porte principale étant maintenue ouverte grâce à un ingénieux moyen artisanal, je m’empresse de la prendre en photo, comme je fais habituellement avec les détails amusants que nous pouvons croiser. Cela n’échappe pas à un agent chargé de la sécurité qui, me prenant pour un Russe, me fixe d’un regard glacial et me demande sèchement : « Y a quoi d’intéressant là-bas ? ». Je lance un regard paniqué à Macha qui se charge de le rassurer sur le fait que je ne comprends pas grand-chose au russe. Nous croiserons le même agent un peu plus tard, et il nous demandera du ton poli réservé aux étrangers si notre voyage se passe bien.


Pour patienter en attendant notre bus, nous longeons la rue de la gare à la recherche d’une pharmacie, qui restera introuvable. Nous dépassons quelques bâtiments staliniens dans un état de décrépitude avancée et je me rends soudainement compte de la chance que j’ai de pouvoir découvrir « l’envers du décor », et la réalité de la vie russe loin de toute vitrine de métropole. Nous nous demandons alors si l’Etat russe se rend compte de l’attrait touristique que peut avoir le patrimoine soviétique pour des étrangers. Au prix de quelques restaurations et entretiens pour les valoriser, les vestiges du communisme pourraient sûrement attirer de nombreux visiteurs et développer le tourisme dans différentes agglomérations, comme cela existe dans d’autres pays de l’ex-bloc soviétique ?

Nous retournons bientôt à l’intérieur de la gare, et au son d’une télé diffusant l’épreuve de natation des Jeux Olympiques, passons commande de quelques crêpes au miel et au tvorog, sorte de fromage frais russe pour lequel j’ai développé une addiction sans bornes.

Nous sommes servis par une vendeuse pittoresque qui se voit immédiatement surnommée « Chto Vam ». « Chto Vam ?! » (littéralement : « Vous faut quoi, à vous ?! »), c’est la question que celle-ci pose à toutes les personnes qui se présentent devant elle, avec l’air de quelqu’un qui vient d’apprendre que le Diet Maroz (l’équivalent russe du Père Noël) n’existe pas. Elle prend les commandes et assure le service avec tellement de hargne que nous suspectons une histoire en cuisine, d’où elle ressort pourtant avec un quasi sourire qui disparaît sur-le-champ lorsqu’elle croise le regard d’un client. Soudain, sous mes yeux émerveillés devant tant de brutalité gratuite, elle aboie un « Bortsch ! » impérieux et abat un bol de soupe sur le comptoir, que vient récupérer rapidement la personne l’ayant commandé.


De retour dehors, nous embarquons bientôt dans le bus qui doit nous amener à Bariatino, sous le regard attentif des dizaines de pigeons caractéristiques des gares et arrêts de bus russes. Notre véhicule a été construit en France, à en croire les indications affichées au-dessus de la guirlande d’icônes suspendue au pare-brise, censée être aussi efficace qu’une bonne ceinture de sécurité. Le trajet est long, et le haut-parleur situé au-dessus de nos têtes rend impossible de fermer l’œil.



Nous évitons de justesse de manquer notre arrêt, qui n’est indiqué d’aucune façon, et attendons devant l’arrêt de bus désert la voiture qui doit nous mener à Kitèje, à une dizaine minutes d’ici. Un combi délicieusement rétro, rappelant les ambulances d’un âge révolu, s’arrête bientôt devant nous : un homme jeune en descend et s’adresse à nous d’un ton amical, assez inouï jusqu’ici de la part d’un inconnu. Il nous dit s’appeler Sergueï et nous invite à monter dans son véhicule pour nous emmener jusqu’à notre destination, où il travaille. Une fois installés à bord, nous faisons un détour pour récupérer un certain Sacha, avant d’aller emprunter des routes rafistolées faisant trembler l’engin de toutes parts, et ce à toute allure. Rien d’étonnant, après tout : quel Russe n’aime pas la vitesse ?